Farhad Moshiri, tapis volant et Art islamique moderne.

Témoin des tensions et des changements sociaux qui ont secoué l’Iran, Farhad Moshiri participa en février 2017, à l’exposition Rebel, Jester, Mystic, Poet: Contemporary Persians. Déployé à l’Aga Khan Museum de Toronto, son œuvre intitulé Flying Carpet présente de manière plutôt audacieuse un produit particulièrement prisée de l’art persan. Issue de ce berceau d’art et de foi musulmane, Moshiri crée en 2007 une œuvre sculpturale composée de trente-deux tapis empilés. Dès le premier regard, nous sommes séduits par la teinte dominante de ces tapis ; Un rouge fuchsia exotique qui nous transporte dans l’histoire des Mille et Une Nuits et de ces contes féériques orientales. Les motifs de végétaux, les arabesques ainsi que la coupole au centre du tapis font écho aux ornements de l’art islamique, notamment ceux de l’architecture des palais, des mosquées ou encore des couvertures de manuscrit. Contenant une dose d’espièglerie, l’œuvre de Moshiri présente cet attrait non négligeable : Une silhouette d’avion de chasse entaillée de manière parfaitement symétrique au centre de la pile de tapis. De plus, l’artiste disposa à proximité les découpes des trente-deux silhouettes d’avion. A priori, cette œuvre simule un bricolage grandeur humaine fait de retailles de tapis perse.

Farhad Moshiri, Flying Carpet, The Museum of Fine Arts Houston, 2017. Houston, United States.


Avec Flying Carpet, l’artiste ne laisse pas entièrement libre-court à notre propre interprétation. En réalité, il nous transmet un message important à l’aide de métaphores judicieusement construites. Premièrement, cette superposition de trente-deux tapis usinés correspond à cette manière moderne de fabriquer rapidement et de manière répétitive. Les objets sont ainsi dépourvus de qualité, de ce précieux travail fait avec attention, dans un esprit de collaboration et en l’honneur à une longue tradition. Du teinturier qui fabrique les pigments naturels au maîtres tisseurs, l’art du tapis perse est un Art islamique authentique, dont les tapis fait à la main sont le résultat d’un travail de collaboration entre les artisans d’une même région en territoire islamique. Cela dit, lorsque nous comprenons la valeur hautement symbolique du tapis perse, il est possible que le travail de Farhad Moshiri puisse paraître assez provocant pour certains. D’une part, ce symbole de guerre découpé au centre d’un symbole de fierté pour la civilisation perse reflète bien la réalité de la société moderne de l’Iran et partout ailleurs (Production accrue, guerre, industrialisation, mondialisation, etc.)

Comme point culminant, le tapis est un élément important de la foi islamique et il fait partie intégrante de la prière musulmane depuis des siècles. Ayant comme première fonction d’établir une séparation contre le sol considéré impur, il permet également par ses bords bien définis, d’isoler le fidèle afin qu’il puisse se rapprocher de Dieu en toute intimité. Lieu de réconfort pour celui qui pratique la parole coranique, on y retrouve parfois en son centre une forme représentant le mihrab.

Le mihrab, cette niche incorporée dans les murs des mosquées pour indiquer la qibla ( direction de la kaaba à la Mecque ), est l’endroit où le prophète Muhammad-Ali se tenait devant lors de ses discours. Or, en ce qui concerne les tapis de Farhad Moshiri, le mihrab n’existe pas ; il est plutôt substitué par une arme de guerre. Lourde de sens, son œuvre dénonce également, de manière symbolique, cette propagande haineuse associant parfois la foi islamique aux conflits de guerre depuis le 11 septembre 2001.


Or les multiples facettes que nous renvois cette œuvre en relation avec l’Iran et l’islam, nous sommes confrontés à cette fameuse question de Oleg Grabar, historien de l’art : « Qu’est ce qui rend l’art islamique, islamique ? [Traduction libre] » Bien que Farhad Moshiri est un artiste iranien, son œuvre composé de tapis usinés et teint de pigments chimiques n’a rien en commun avec l’art du tapis perse. En fait, l’artiste se dit plutôt inspiré par le mouvement pop Art. Dans un article intitulé Cowboy and Kitsch, du magazine du musée Carnegie de Pittsburgh, l’auteure Christina Rouvalis reprend cette phrase de Farhad Moshiri qui mentionne

« J'essaie de ne pas trop m'inspirer d'autres artistes. Cela dit, je pense qu'Andy Warhol et sa série de boîtes de soupe ont loué une chambre en permanence dans ma tête. [Traduction libre] »

En réalité, Farhad Moshiri s’est plutôt inspiré d’une réplique d’un produit emblématique de l’art islamique puis tisse des liens entre les traditions et les changements moderne. Il présente cette amassement de tapis usinés tel une métaphore à cette production accrue de ce précieux produit dont l’artisanat remonte à la dynastie Safavide, où chaque tapis fait à la main était unique. De plus, il envoie un message clair en lien avec la modernité de l’Iran : Autrefois célèbre pour son art du tapis et aujourd’hui pour ses conflits socio-politique. En conséquence, nous devons regarder son art non en tant qu’art islamique ou art islamique moderne mais plutôt en tant qu’art contemporain d’influence Pop Art.

D’ailleurs, pour tenter d’appréhender le terme « Art islamique moderne ou contemporain », il est intéressant de se pencher sur l’ouvrage de 2015 intitulé Questioning a successful label: how Islamic is Contemporary Islamic Art. Dans cet essai, l’auteur Sylvia Neef discute des étiquettes, de la façon de nommer correctement le travail des artistes contemporains qui s’inspirent de l’art islamique. Dans un premier temps, l’auteure pointe différents facteurs historiques ayant influencé la diminution de l’artisanat islamique, tel que l’avènement de la modernité sur les territoires musulmans comme en autre, l’ouverture du Canal de Suez en 1869. Cette nouvelle façon de circuler facilita non seulement l’échange des produits et des matières premières mais ouvra la voie à de nouvelles idées. Ainsi, la production de masse qu’on connait aujourd’hui est le résultat de cette croissance du fantasme orientaliste provenant de l’Europe et l’introduction des nouvelles technologies dans ces territoires. D’autres part, en ce qui concerne les techniques artistiques, la mise en place d’institution d’art ayant une forme académique favorisant principalement la maîtrise des techniques européennes contribua à effacer progressivement ce savoir-faire millénaire des artistes musulmans. Face à l’extinction progressive de l’art islamique authentique, l’auteure nous raconte qu'un nouveau mouvement prit naissance au 20ième siècle : Le mouvement Hurufiyya, issue du soufisme musulman. Défendant l’idée des traditions dans l’art moderne et agissant en quelque sorte tel une résistance à la colonisation, les partisans de ce mouvement désiraient retrouver leur identité dans l’art arabe moderne. Cependant, Sylvia Neef mentionne aussi que le réel enjeu se trouve dans le terme « Art islamique moderne », qui comporte plusieurs problématiques. Si nous prenons l’exemple de la calligraphie qui est considérée comme l’une des plus importantes formes d’art islamique, elle est aussi le sujet de nombreux débats dans l’art moderne. Historiquement, il faut savoir que la calligraphie fût développée pour transmettre la parole coranique et sa pratique est fortement lié à la foi islamique. Cela dit, est-ce qu’il serait approprié de catégoriser une œuvre contemporaine, profane mais comportant de la calligraphie en tant qu’œuvre d’art islamique moderne ? Si nous revenons à l’œuvre Flying Carpet de Farhad Moshiri, est-ce que les tapis d’inspiration persanes suffisent pour qualifier ce travail d’art islamique moderne ? En réponse à ces questionnements, Sylvia Neef mentionne que « le terme Art islamique moderne n’est pas clairement définit. [Traduction libre] » Puis, nous devons considérer cette notion importante : La continuité entre le passé et le présent. Enfin, puisque cette œuvre présente un élément comportant une grande histoire et héritage pour la prière et la culture persane, il s’en dégage une puissante connotation islamique. En revanche, nous devons considérer que l’aspect de continuité dans la transmission de l’art du tapis, du savoir-faire, est dans ce cas-ci totalement absent et c’est exactement ce concept que Farhad Moshriri a mis de l’avant avec son œuvre intitulé Flying Carpet.


Bibliographies:

Aga Khan Museum, « Rebel, Jester, Mystic, Poet: Contemporary Persians », 2017, consulté le 23-11-22 sur https://www.agakhanmuseum.org/exhibitions/contemporary- persians

Christina Rouvali, « Cowboys and Kitsch - Iranian post-Pop sensation Farhad Moshiri brings his wide-eyed view of the world to The Warhol. » Carnagie magazine, Carnegie museums of Pittsburgh, 2017, Consulté. Le 05-12-22 sur https://carnegiemuseums.org/carnegie- magazine/fall-2017/cowboys-and-kitsch/

Mandana Chaffa, « Rebel, Jester, Mystic, Poet: Contemporary Persians. The Mohammed Afkhami collection », Nowruz journal, A periodical of persian arts & letters, consulté le 22-11-22 sur https://nowruzjournal.com/commentary/rebel-jester-mystic-poet- contemporary-persians-the-mohammed-afkhami-collection/

Margaret Squires, « Persian carpet across Times », MFA The museum of Fine Art, Houston, 2017, Consulté le 22-11-22 sur https://www.mfah.org/blogs/inside- mfah/persian-carpets-across-time.

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